Lorsque j’ai commencé mes études d’infirmière, je n’aurais jamais pensé faire mes papiers pour être IDE libérale un jour. Je souhaitais faire:
- soit une carrière d’infirmière spécialisée dans l’urgence et le SAMU (j’avais réalisé mon mémoire sur ce thème là).
- soit infirmière militaire de carrière avec quelques missions à mon actif.
Mais la vie nous réserve parfois quelques surprises et même si j’avais tout mis en place pour que cela se passe comme je l’avais prévu.. aujourd’hui je ne suis plus du tout dans ce schéma là.

J’ai décidé de ne pas renouveler mon contrat avec l’armée après 4 ans de service pour pouvoir suivre mon conjoint dans sa mutation. C’était plus simple pour notre vie de couple et je savais que je pouvais toujours espérer une carrière qui me plaise aussi dans le civil.
C’est comme ça que je me suis retrouvée dans une clinique privée pour un boulot sur le pool, en 12H, qui me permettait de me libérer du temps pour les entrainements Ironman. Sur le papier c’était un post super interessant: le pool me faisait aller dans les services de chirurgie, soins intensifs, urgence et médecine. En chirurgie, il y avait plein de spécialités: orthopédique, viscérale (avec chirurgies bariatriques), urologie, coronarographie, etc. Je me disais que je n’allais pas m’ennuyer et apprendre plein de choses !
Alors oui, j’allais apprendre plein de choses mais j’allais surtout survivre au milieu d’un terrain hostile.
En médecine ça se passait pas trop mal, les médecins étaient en majorité bienveillants. L’équipe était plutôt accueillante et les patients prient en charge sans que l’on ressente trop une pression du chiffre. Il y avait quand même un pneumologue qui refusait de prescrire les prises de sang et nous obligeait à le faire. Une collègue s’était aussi disputée avec lui car elle refusait d’appeler la famille pour annoncer un décès. Il est allé se plaindre à la direction et celle-ci a répondu que « oui il faudrait que les infirmières s’y mettent ».
Mais quand je suis arrivée en chirurgie.. j’ai douloureusement compris pourquoi il y avait un tel turn-over d’infirmières qui ne restaient pas.
Chirurgie de semaine: le patient passe quelques jours dans le service mais rentre chez lui le week-end. Ce sont donc des opérations qui ne nécessitent pas un besoin de long séjour dans la clinique. Si jamais le patient doit rester le week end car, finalement, il ne peut pas rentrer chez lui: on le mute dans le service de chirurgie générale.
Lorsque j’étais à l’armée, quelque soit le niveau d’étude de la personne en face de moi, on m’appelait par mon prénom ou on me le demandait. J’avais le droit aux règles de politesse élémentaires. Ce n’était pas un système parfait mais je me sentais respectée.
Dans ce service, j’ai déchanté ! Un des chirurgiens tapait dans ses mains pour qu’on lâche tout et qu’on le suive avec une feuille et un crayon. Ensuite, il me parlait par onomatopées pour que j’éteigne la télé du patient, pour comprendre ses désirs avant qu’il me les dise etc. Ce chirurgien était connu dans la clinique pour ses colères, ses insultes auprès du personnel soignant et pour nous raccrocher au nez si notre demande ne lui convenait pas.
Un autre me demandait de passer des traitements intra veineux à des patients sans jamais me les prescrire. Alors j’avais le choix:
- soit je décidais de les faire avec une petite transmission ciblée pour dire que c’était une prescription orale. Mais si jamais il y avait un problème.. c’était ma parole contre celle du chirurgien.
- Soit je ne faisais pas les traitements demandés car non-prescrits (vitamine K, antibiotiques, etc) et je prenais le risque pour le patient qu’il se fasse opérer sans les soins pré-opératoires nécessaires au bon déroulement de l’opération.
Alors, je les faisais mais le soir après la relève je passais une grosse demi heure à noter en transmissions écrites tout ces soins prescrits à l’oral par un chirurgien et/ou un réanimateur anesthésistes qui ne me les prescriraient jamais. Peut être qu’ils ne prescrivaient pas par manque de temps. Mais chaque fois, c’était mon diplôme et ma responsabilité que je mettais en jeu, lorsque je faisais un soin que le chirurgien m’avait dit de réaliser entre deux patients dans un couloir. Ou au bout d’un téléphone. Un soin que je ne pouvais pas vérifier avec la prescription sous les yeux pour être sûr de ne pas faire de bêtises. Même si ils me les prescrivaient une ou heure ou deux après, ça aurait été mieux que rien. Je les aurais validé plus tard, en les ayant fait plus tôt, mais au moins il y aurait une prescription. Même si je comprends les soins que je réalise, car c’est mon travail de savoir ce que je fais, je n’ai pas le niveau d’étude et le diplôme nécessaire pour travailler sans jamais avoir de prescriptions écrites pour me protéger.
J’étais seule avec une aide soignante pour ce service.
Je n’ai jamais vécu une telle charge mentale.
Un jour, j’étais en train de faire comme je pouvais le tour du matin et de voir chaque patient pour savoir comment s’était passée la nuit, leur faire des prises de sang et soins intraveineux pour la douleur etc. Une des patientes opérées la veille d’une chirurgie bariatrique commence à vomir du sang. Je dois lui faire une prise de sang en urgence et surveiller ses constantes. Malheureusement, cette patiente est très très difficile à piquer. Elle est en hypotension, en surpoids et ses veines sont tellement fines et fragilisées qu’elles ne me donnent pas assez de sang. Je dois faire la prise de sang en plusieurs fois.
L’aide soignante m’aide en préparant les patients pour le bloc, mais comme je suis coincée avec ma patiente urgente je ne peux pas avancer les dossiers et valider que les autres patients sont prêts à partir. Je me fais insulter au téléphone par l’anesthésiste car ils attendent une patiente au bloc et que je n’ai pas cliqué sur le bouton « prête pour le bloc ». Je n’ai pas eu le temps de voir cette patiente et je ne veux pas dire qu’elle est « prête pour le bloc » sans même avoir vu à quoi elle ressemble.
Des ambulanciers m’attendent devant la porte car ils voudraient les papiers de sortie d’un autre patient qui doit partir ce jour. Mais je n’ai pas eu le temps de les faire car je suis toujours en train de gérer une urgence. Ils s’agacent car eux aussi perdent du temps sur les transports. Le personnel du ménage s’agace aussi car ils voudraient préparer les chambres. Il faut pouvoir accueillir les autres patients qui vont arriver juste après le départ de ceux que les ambulanciers viennent chercher. Un autre chirurgien s’impatiente car il voudrait faire le tour avec moi de ses patients à lui. J’ai des sonnettes qui m’appellent car d’autres personnes alitées ont mal et je suis seule à pouvoir leur injecter les antidouleurs. Et puis, il y a les patients qui doivent avoir les antibiotiques à l’heure, la surveillance de rinçage de sonde pour pas que des caillots se reforment et qu’elles se bouchent. L’ECG du retour de la coro. Et ma patiente vomit toujours du sang.
Je suis seule et j’ai envie de me cacher dans un trou de souris car je ne sais pas comment faire pour être partout à la fois.
Plus tard, l’aide soignante vient me chercher: Mr B. est en globe , il a très mal au ventre car il n’arrive pas à faire pipi malgré sa vessie très remplie. J’appelle l’urologue qui doit venir lui poser la sonde car c’est un patient qui s’est fait opérer à ce niveau là et je dois l’assister. Mais je suis toujours seule et je n’ai pas vu mes retours de bloc. Je dois préparer le plateau du chirurgien avant qu’il arrive. Je cours chercher le matériel, je vois l’infirmière de l’autre service sur son portable, elle me regarde passer en courant. C’est tout.
J’aide le chirurgien et je cours à mon charriot finir mon tour et surveiller les patients qui sont rentrés du bloc. Je suis très en retard sur mes soins. Ma collègue de nuit arrive et je n’ai toujours pas préparé ma relève et ciblé tous les soins prescrits à l’oral que j’ai fait.
Je suis seule pour un service comme ça d’une vingtaine de lits et ce n’est pas normal. J’ai peur d’oublier quelque chose, de mettre des patients en danger. Ce jour là je suis rentrée à 22H30 chez moi alors que je suis partie le matin à 6H. J’ai failli avoir un accident sur le retour car j’étais fatiguée , dans mes pensées à ressasser ma journée et ce que j’aurais pu oublier de faire. J’étais à deux doigts de faire un tout droit dans un virage.
C’était un jour de plus dans le service de chirurgie de cette clinique et chaque jour de travail là-bas ressemblait à celui-ci.
Le problème c’est que tout les hôpitaux ou cliniques où je suis passée c’est comme ça. Un jour ma grand mère, qui était hospitalisée en urgence, doit aller passer un examen avec une cardiologue. Je viens avec elle pour l’aider à comprendre et poser des questions. La cardiologue m’accepte, me demande si je suis infirmière. Je lui dis que oui. Elle me demande alors de dire à l’infirmière du service, où est hospitalisée ma mamie, qu’elle a changé le traitement du patient de la 223 et elle voudrait aussi que je donne l’ECG d’un autre patient qui était resté dans son bureau. Je suis restée bouche bée. Je ne travaillais pas dans cet hôpital, j’étais seulement là en visite et la médecin me demandait de faire ça.
J’ai essayé de travailler dans le public ou le privé, j’allais au boulot la boule au ventre, j’avais PEUR de ce que je pouvais mal faire, j’avais l’impression d’être une bombe a retardement avant de faire la bêtise qu’il ne fallait pas.
On a des patients dans les lits, des humains, des personnes qui méritent que l’on s’occupe correctement d’elles. Ce n’est pas normal de travailler sur le fil rouge !
J’en parle régulièrement avec des amis médecins, internes ou externes, infirmiers, aides – soignants, sage-femme, pompier, etc. Le constat est sans appel que ce soit n’importe quelle personne, nous travaillons tous dans des conditions anormales. Nous avons tous l’impression de foncer droit dans le mur.
C’est pour cela que je suis partie. J’ai voulu changer de travail. Je me suis dit que j’allais devenir coach ou travailler dans un refuge avec des animaux.
Mais c’est ce travail que j’aime. J’aime prendre soins des autres, je ne me vois pas ne plus jamais le faire. Alors, je me suis inscrite en tant qu’infirmière libérale remplaçante. Et même si, là aussi, le système va très mal. J’ai quand même le sentiment de pouvoir vraiment prendre soin. J’ai de plus belles relations de soignants/soignés.
Je me sens impuissante, alors j’apporte mon témoignage à l’édifice. L’hôpital où travaille ma maman recherche 15 infirmières et n’en trouve pas.
Le jour où j’ai démissionné de la clinique une autre personne que moi partaient pour exactement les mêmes raisons. Elle a tenu à peu près le même temps que moi avant de décider de quitter son poste.
Tout ce que j’espère, c’est qu’un jour il y aura une solution qui ne fera pas trop de dégâts. En attendant, je continue mon travail et j’ai découvert une façon de le faire qui redonne du sens au métier que j’ai choisi.

10 Comments
Jeune diplômée de juillet, le milieu hospitalier général a finit de me dégoûter lors de mon avant dernier stage. J’aimais beaucoup les soins dits « techniques » j’appréciais ce que je faisais mais le système mange littéralement le personnel, qui n’a plus le temps de bien soigner avec des moyens décents. Je n’avais pas envie de commencer ma carrière avec une boule au ventre permanente ou alors de me retrouver quelques mois après le diplôme comme cette infirmière qui s’est effondrée en plein milieu des transmissions. Il faut dire que je suis tombée sur une équipe qui n’allait pas bien et qui du coup n’était pas des plus bienveillantes envers moi. Avec le recul je les pardonne, pour moi me libérer de leurs propos et leurs actes.
26 novembre 2019 at 15 h 42 minDernier stage : en libéral et la…révélations meme si comme tu le dis si justement les conditions sont aussi difficiles MAIS j’ai pu prendre soin des patients comme je le souhaitais c’est à dire décemment et avec une bonne relation soignant/soigné.
Aujourd’hui je travaille au sein d’un EPSM en pédopsychiatrie et je m’y épanouis car même s’il manque aussi des moyens parfois, nous y travaillons correctement et je n’ai jamais de boule au ventre lorsque je pars travailler, mon équipe est soutenante et on se sert les coudes. J’ai beaucoup de chance même si cela reste un service parfois très difficile à gérer et où la charge mentale est mise à rude épreuve par rapports aux patients que nous accompagnons.
Merci à toi de partager ton ressenti sur cette difficile et pourtant tellement belle profession.
Et le soin relationnel est pour moi le plus complexe des soins techniques je tenais à le préciser 🙂
Merci pour ton témoignage et je suis contente que tu aies trouvé un service qui te correspond ! Courage à toi, merci pour ces belles paroles !
26 novembre 2019 at 16 h 00 minBonjour Margot
27 novembre 2019 at 8 h 07 minLes patients hospitalisés ne se rendent pas compte de ces difficultés à exercer que vous avez les infirmières. Beaucoup de chirurgiens se considèrent comme étant une vaste a part et ce trait de personnalité ressort dans leur vie privée. J en fait les frais avec un voisin. Toujours est il que pour moi vous êtes toutes formidables. Et je n hesite pas a vous le dire. Jeudi dernier je sortais de trois jours de chimiothérapie a leon berard et c etait le jour de mon anniversaire. Une infirmière est entrée dans ma chambre en me souhaitant bon anniversaire et en rajoutant que j aurai des cadeaux chez moi. Ce que je lui ai répondu est sorti du fond de mon coeur….mon plus beau cadeau c est votre gentillesse a toutes.
Bises
C’est magnifique ce que tu lui as dit, je pense que tu lui as redonné le soleil pour la journée ! Courage à toi pour ces chimio ! Tu es quelqu’un de très courageux et battant ! Bises
27 novembre 2019 at 14 h 54 minJe suis étudiante en soins infirmier, en 3e année la dernière ! Celle durant laquelle on se pose des milliards de questions sur notre projet professionnel, où on veut aller, dans quel service, pourquoi…
Et lorsque j’en parle avec mes collègues de promotion la chose qui ressort le plus c’est « on ne finira pas notre carrière dans un hôpital » quelque soit le projet, quaziment personne rêve de travailler à l’hôpital et c’est dommage. On est même pas sorti de l’école qu’on a peur de la charge de travail et des responsabilités qui nous attendent.
Pourtant on aime ce qu’on fait.
Merci pour ton témoignage, il est poignant mais il montre la triste vérité. Combien de fois j’ai pu être compté dans l’effectif du personnel soignant alors que je ne suis qu’étudiante.
J’adore ton compte instagram, tellement positif, continue c’est génial
26 novembre 2019 at 23 h 10 minmerci à toi pour ce commentaire, tellement de témoignages comme le tien depuis hier.. c’est fou comme on se sent tous dans le même bateau qui coule ! Courage pour ce travail tristement magnifique et essentiel !
27 novembre 2019 at 14 h 53 minCoucou Margot !
30 novembre 2019 at 13 h 50 minTon témoignage est vraiment poignant et triste. De voir toute la pression que vous subissez à longueur de journée, ce manque de personnel partout…
Je suis ergo en psychiatrie depuis la rentrée, et outre le fait que je ne supporte pas le sang, les opérations tout ça, je suis heureuse de ne pas être infirmière. De ne pas avoir autant de responsabilités, de pression sur mes épaules, alors bravo de continuer à faire ce métier malgré les conditions car on a besoin de vous
Bravo à toi pour ce beau métier que tu exerces aussi ! Et merci pour ce commentaire compréhensif et touchant !
4 décembre 2019 at 12 h 45 minTrès « beau » ce n’est pas le mot, important témoignage des conditions de travail à l’hôpital et en clinique ! Je suis sage femme est suis passée part là en clinique ! J’ai commencé à te suivre pour le triathlon et le running mais ca fait plaisir de savoir qu’on peut travailler à l’hôpital ( ou en liberal) et s’épanouir dans le sport à côté !
1 janvier 2020 at 0 h 16 minmerci beaucoup pour ce message !
8 janvier 2020 at 11 h 51 min